La taxe carbone aux frontières de l’UE : une réussite française au bilan de la PFUE ?
Avec la fréquence plus élevée d’événements climatiques extrêmes, le réchauffement climatique prend une place croissante dans l’espace médiatique et politique. Le climat est en effet un point central auquel le nouveau gouvernement a déclaré vouloir s’attaquer sans tarder, dans une volonté de rompre avec le précédent quinquennat. Emmanuel Macron avait néanmoins annoncé, dès fin 2021, son souhait d’inscrire la lutte contre le réchauffement climatique au cœur de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE).
Après plus d’un an de discussions au niveau européen, les députés ont voté, quelques jours avant la fin de la PFUE (le 30 juin), une avancée majeure pour la lutte contre le réchauffement climatique : l’introduction d’une taxe carbone aux frontières, dont la mise en œuvre est toutefois loin d’être achevée.
La taxe carbone : pourquoi, pour qui ?
La taxe carbone aux frontières, ou mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), est un dispositif devant permettre à l’UE d’imposer ses normes environnementales aux entreprises issues d’un pays tiers hors UE souhaitant exporter sur son territoire. Elle est une pierre angulaire du « Green Deal » mis en place par la Commission von der Leyen dans l’objectif d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Concrètement, elle consiste à définir un seuil d’émissions au-delà duquel les biens produits par des entreprises très émettrices de carbone seront taxés.
Afin de réduire les émissions de carbone sur son territoire, l’Union européenne avait mis en place dès 2005 un système d’échange de quotas d’émissions, l’EU-ETS. Avec cette nouvelle taxe carbone, l’UE souhaite améliorer ce dispositif et l’étendre aux pays tiers, en passant de permis d’émission gratuits et distribués chaque année à des permis payants. Mais une des conséquences probables d’une telle politique serait la délocalisation d’entreprises européennes hors de l’Union, qui souhaiteraient éviter de payer pour des permis d’émission, et donc bénéficier de normes environnementales moins strictes et donc de coûts plus faibles. Ce qui provoquerait, d’une part la délocalisation des émissions de gaz à effet de serre, ce que l’on appelle les « fuites de carbone », et, d’autre part, de nombreuses pertes d’emplois. C’est ce que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières vise à empêcher, en imposant les mêmes normes aux entreprises à l’extérieur de l’Union, en taxant le contenu carbone des importations, et donc en préservant la compétitivité des entreprises européennes face à leurs concurrentes étrangères.
L’idée de ce MACF n’est pas nouvelle, puisqu’elle a déjà été évoquée dans les années 1990, mais a été remise sur le tapis par la Commission européenne, qui a proposé en 2021 que cette taxe s’applique dans un premier temps aux 5 secteurs les plus émetteurs en carbone : le fer et l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais et l’électricité. Mais elle a assez vite été confrontée à un autre obstacle : la grande hétérogénéité des politiques et des ambitions climatiques des 27 Etats membres.
En pratique, ces surcoûts seraient calculés sur le modèle du système d’échange des quotas d’émissions carbone qui s’applique aujourd’hui aux entreprises implantées en Europe. Mais celui-ci doit d’abord être réformé avant de pouvoir s’appliquer aux pays tiers, puisqu’il prévoit actuellement d’accorder des quotas d’émission carbone gratuits aux entreprises de secteurs dits « sous tension » pour des raisons de concurrence. La mise en place du MACF devrait ainsi conduire à la fin progressive de ce dispositif, pour éviter un protectionnisme qui désavantagerait les entreprises des pays tiers – une des critiques principales formulées notamment par les pays émergents[1]. La Chine en particulier dénonçait dès 2021 une distorsion des règles de concurrence et un non-respect des règles de l’OMC.
Le dispositif du MACF devrait entrer en vigueur début 2023, mais la fin de ces quotas gratuits serait très progressive. Le mécanisme pourrait alors être étendu à d’autres secteurs, comme les biens agricoles par exemple.
Une « victoire » française pour conclure une PFUE marquée par l’imprévu
Bien que fortement perturbée par la guerre en Ukraine, la PFUE a vu la concrétisation de plusieurs avancées, sur le numérique, la santé, mais aussi l’environnement, avec cette taxe que la plupart des médias décrivent comme une « victoire pour Paris » et un « trophée européen à brandir »[2] pour Emmanuel Macron. De quoi conclure la PFUE sur une note positive. « Pour la première fois, le climat devient un déterminant des relations commerciales internationales » avait souligné le ministre de l’Economie Bruno Le Maire.
Une étape importante avait déjà été franchie le 15 mars 2022, lorsque les ministres de l’Economie des pays membres sont parvenus à un accord[3], sans toutefois trouver d’entente sur la question de la fin de ces fameux quotas gratuits. Mais le 8 juin, coup de théâtre : le texte est rejeté, avec le vote « contre » de 340 eurodéputés (265 pour et 34 abstentions), la gauche et les Verts jugeant le calendrier et les objectifs « pas assez ambitieux »[4]. Le texte est finalement adopté le 22 juin par le Parlement, après que les trois grands groupes politiques (PPE, Renew, S&D) ont trouvé un compromis, en particulier sur le calendrier, qui prévoit désormais la fin des quotas gratuits dès 2032.
Pourtant, plusieurs points de désaccords subsistent. Les industriels européens d’abord sont nombreux à redouter une perte de compétitivité et une difficulté à maintenir les emplois. Entre les États membres ensuite, et notamment sur l’utilisation des revenus générés par le MACF, qui devrait rapporter environ 1 milliard d’euros par an à l’UE. Fin 2020, l’économiste français Jean Pisani-Ferry et le président de l’institut de recherche économique allemand IFO Clemens Fuest, estimaient dans un rapport destiné aux Ministres des Finances de l’UE (EcoFin) qu’il serait logique que ces fonds soient consacrés au remboursement du plan de relance européen[5]. C’est effectivement ce qui a été décidé, mais la question de l’utilisation des revenus générés par la fin des quotas gratuits n’a pas encore été tranchée. Les Etats membres souhaiteraient en effet pour la plupart percevoir directement ces revenus, tandis que la Commission aimerait en attribuer 25 % au budget européen.
Le député européen Pascal Canfin (Renew) a en outre proposé de réinjecter l’argent gagné pour soutenir les entreprises dans leur processus de décarbonation. Une proposition française suggérait également la création d’un fonds social européen pour le climat[6], destiné à soutenir les ménages à faible revenu dans leur consommation d’énergie. Une proposition à laquelle l’Allemagne s’oppose, ne souhaitant pas consentir à un effort supplémentaire de redistribution.
Néanmoins, le ralliement de l’Allemagne à ce projet de MACF, après plusieurs années d’opposition, peut déjà en soi être considéré comme une victoire, pour le climat bien sûr, mais aussi un succès français, européen et franco-allemand. En effet, le projet de taxe carbone aux frontières n’a pas toujours été perçu favorablement outre-Rhin. Dès 2020, l’Allemagne craignait qu’une telle taxe soit perçue négativement par la Chine, qui est l’un de ses principaux partenaires pour les exportations, et que le MACF nuise, en général, à sa capacité d’export et donc à son économie. « On trouve toujours des solutions au bout du compte entre la France et l’Allemagne »[7] estimait à l’époque Bruno Le Maire, confiant. Il semble que l’avenir lui ait donné raison. Plus que symbolique, le ralliement de l’Allemagne a été déterminant dans l’adoption du cadre général du MACF.
Lors du G7, Olaf Scholz a même proposé la création d’un « club climat » réunissant les pays « ambitieux » en matière de lutte contre le réchauffement climatique et qui viendrait compléter le MACF[8]. Un signal encourageant pour les prochaines étapes du projet et pour la solidarité franco-allemande, moteur important des avancées climatiques dans l’UE.
[1] Le Monde, « La taxe carbone aux frontières présente des risques ignorés de délocalisation », le 8 juin 2022 [2] Les Echos, Feu vert des Etats européens à la taxe carbone aux frontières, le 15 mars 2022 [3] Présidence française de l’UE, Accord au Conseil sur le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), le 15 mars 2022, https://presidence-francaise.consilium.europa.eu/fr/actualites/accord-au-conseil-sur-le-mecanisme-d-ajustement-carbone-aux-frontieres-macf/ [4] Les Echos, Climat : les eurodéputés s’opposent à la réforme du marché carbone, le 8 juin 2022 [5] IFO Institute, Jean Pisani-Ferry et Clemens Fuest plaident pour un financement de l’UE via le commerce de carbone, 11 septembre 2020, https://www.ifo.de/en/node/58024 [6] Parlement européen, Un Fonds social pour le climat pour soutenir les citoyens touchés par la précarité en matière d’énergie et de mobilité, le 18 mai 2022, https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220516IPR29635/un-fonds-social-pour-le-climat-pour-aider-les-citoyens-touches-par-la-precarite [7] Le Figaro avec AFP, Taxe carbone européenne : les Allemands « hésitants » à cause de la Chine, selon Bruno Le Maire, le 12 octobre 2020 [8] Euractiv, Olaf Scholz rallie les pays du G7 à son projet de « club climat », le 28 juin 2022
Léa-Marine Simon – 18 juillet 2022