Merkel veut-elle vraiment réformer l’Europe ?

Brexit, guerre commerciale avec Washington, conflit syrien, terrorisme, migrants, l’Europe est confrontée à des défis d’envergure. Des défis qu’elle ne pourra relever que grâce à une relance du projet politique de l’Union.

On pensait donc que le hasard de l’Histoire faisait bien les choses en plaçant à la tête de la France et de l’Allemagne une de ces paires de dirigeants qui, à l’instar de De Gaulle-Adenauer ou de Kohl-Mitterrand, ont construit l’Europe. Merkel-Macron, outre les initiales, les deux semblaient partager une volonté de reformer l’Europe. Il fallait juste quelques mois de patience, le temps que les électeurs allemands confirment dans les urnes, la victoire promise par les sondages à Angela Merkel. Las, le scenario écrit ne s’est pas réalisé et le moteur européen s’est retrouvé encalminée, encrassé par les difficiles négociations gouvernementales allemandes.

Certes, le président Macron et la chancelière Merkel ont annoncé une feuille de route pour l’Europe d’ici la fin juin. Ce 19 avril ils se rencontrent à Berlin. Une rencontre de plus serait-on tenté de dire. Car depuis un an si le président Macron tente de décalquer son activisme sur la scène européenne, il se heurte à un silence poli de Berlin.

Si le chef de l’Etat français a une nouvelle fois affiché son ambition européenne le 17 avril à Strasbourg, Angela Merkel n’a pas encore commenté ses propositions présentées à la Sorbonne deux jours après les élections fédérales de 2017. Aucune mention d’ailleurs du président français dans la déclaration gouvernementale de Merkel. Et lors du dernier Conseil européen de Bruxelles, elle a seulement déclaré vaguement qu’une « architecture globale de la zone euro » serait nécessaire, mais que « la responsabilité et le contrôle [devraient] toujours aller de pair ».

Pourquoi la Chancelière reste-t-elle si peu concrète ? Tout simplement car les idées du président Macron, vues d’Allemagne, coûtent cher. Après le Brexit, le manque à gagner pour l’UE atteindra plus de 12 milliards chaque année. De nouvelles tâches dans le domaine de la gestion des frontières et de la défense commune entraîneront des coûts supplémentaires. En outre, la Commission européenne présentera en mai la première version du nouveau budget de l’UE, qui sera négocié d’ici au printemps 2019. Mais les états membres le sentent : leur contribution actuelle (1% du PIB) ne suffira plus à l’avenir.

La politique intérieure franco-allemande
De plus, Merkel – comme Macron – fait face à une forte pression en interne.

Avec le parti d’extrême droite AfD, la Chancelière ressent davantage l’opposition au Bundestag nouvellement élu. Le FDP fait clairement virage à droite, réoccupant le terrain qu’il avait dans les années 1950. Trouver des compromis au niveau européen avec la CSU devient du coup de plus en plus difficile. Surtout à la veille des élections bavaroises qui auront lieu à l’automne prochain.

De son côté, le nouveau ministre des Finances SPD a clairement fait savoir que les propositions de Paris n’étaient pas toutes applicables, prenant ses distances avec l´ancien président du SPD, Martin Schulz, sur lequel Paris avait – trop – compté. Pour Olaf Scholz, l’accent doit être mis sur des mesures concrètes visant à harmoniser la fiscalité des entreprises des deux côtés du Rhin. Dans un entretien, il a déclaré vouloir transformer le mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen. A condition toutefois que le Bundestag continue d’exercer un contrôle parlementaire. Et pour le social social-démocrate que certains disent même plus « schaublien » que son prédécesseur Wolfgang Schäuble, pas question de toucher au « zéro noir » (zéro déficit budgétaire).

Il est d´ailleurs soutenu par une alliance informelle à Bruxelles. Huit pays nordiques (l’Irlande, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie ainsi que deux pays hors zone euro, la Suède et le Danemark) se sont réunis sous le leadership des Pays-Bas avec pour objectif une discipline financière accrue. La République tchèque serait également intéressée. Ces pays auxquels l’Allemagne pourrait s’associer, rejettent tous des transferts financiers européens plus élevés.

La France continue à s’endetter
Si Berlin salue le changement de cap de la France qui, après dix ans, a décidé de se conformer au critère de déficit de Maastricht, on continue de s’inquiéter de l’insouciance de la cigale française. La dette de Paris continue de grimper (de 64 % du PIB en 2007 à environ 97 % en 2017) alors que la fourmi allemande devrait retrouver en 2019 un niveau de dette inférieur à 60 % du PIB conforme aux engagements européens.

Pas question pour les Allemands de partager cette insouciance et de se retrouver au final à devoir payer l’addition « européenne » qui va forcément monter. Surtout sachant que le FMI propose, en plus, pour la zone euro, un « fonds avis de tempête » d’une valeur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Chaque État membre devrait y verser annuellement 0,35 % de son PIB. Soit environ onze milliards par an pour l’Allemagne. En cas d’urgence, ce fonds devrait également être autorisé à s’endetter sur les marchés financiers. Encore une offensive pour mutualiser les risques, non prévu par le traité de Maastricht.

Sur les autres sujets, les violons restent encore à accorder et Paris peine à trouver en Allemagne des alliés. Angela Merkel s’est déjà opposée à l’union bancaire en allant jusqu’à s’inscrire en faux contre la Commission Européenne. La CDU insiste sur la nécessité de modifier les traités de l’UE en ce qui concerne le Fonds monétaire européen.

Les négociations, et le ton, se durcissent clairement entre les deux capitales. S’agit-il seulement d’une période intermédiaire le temps de laisser la CSU gagner les élections en Bavière ? S´agit-il d´un jeu de pouvoir pour négocier les postes européens qui vont être vacants ? La campagne électorale pour les européennes de juin 2019 débutera juste après l’été et les chefs de file des partis doivent désigner leur candidat pour briguer la présidence de la Commission à Bruxelles. Et à Francfort, la Banque centrale européenne cherche déjà un successeur à Mario Draghi.

Merkel doit enfin prendre position de manière plus concrète. Le temps presse. Dans le cas contraire, elle bloquerait l’avancement du processus européen et risquerait de sentir le retour du boomerang aux prochaines élections européennes. La fenêtre de tir se refermera à la fin juin, après le Conseil Européen. Et elle en est redevable envers la société civile franco-allemande. Notamment pour avoir promis, avec le Président français, un nouveau Traité de l’Elysée à Paris, début 2018. Une annonce faite dans le même salon que pour De Gaulle et Adenauer en 1963. Le « rétablissement de l’Europe » tel que réclamé par Macron, va-t-il donc bientôt voir le jour ?

Manuel Fuchs – 18 avril 2018