Le couple franco-allemand à la veille des élections française et allemande : amour fou ou rupture ?

On parle toujours de la France et de l’Allemagne comme d’un couple. Et pourtant. Les premières années sont loin d’avoir été faciles. A la veille des élections à la plus haute fonction dans les deux pays, France et Allemagne affichent une union toujours forte. Mais qu’en est-il en réalité ? Retour sur quatre années décisives pour l’Europe.

 

Ça n’avait pas très bien commencé. En 2017, quatre mois après son élection, Emmanuel Macron tenait un discours enflammé sur l’Europe à la Sorbonne. Résultats : silence embarrassé côté allemand, frustrations côté français. Emmanuel Macron n’a jamais caché son ambition pour l’Europe ni l’importance qu’il porte au couple franco-allemand pour mettre en ordre de marche le Vieux Continent. Oui mais voilà. En Allemagne, c’est la sobriété qui est de mise, et comme on sait, outre-Rhin le « couple » n’est plus qu’un simple « moteur ».

 

Après quatre ans, que retenir de l’ère Macron/Merkel ?

Tout d’abord, des projets d’ampleur, comme l’Europe n’en avait pas connu depuis quelque temps et qui ont été majoritairement portés par l’axe franco-allemand.

La Défense européenne a retrouvé un peu de lumière avec une Europe de la Défense relancée le 23 décembre 2017 (23 Etats membres ont signé le pacte). Par ailleurs, des projets ambitieux, tels que le SCAF (Système Aérien de Combat du Futur) et le MGCS (Main Ground Combat System = char de combat du futur) ont vu le jour, certes péniblement, mais l’envie était là.

Concernant l’économie et les entreprises, l’axe franco-allemand a su les redynamiser en multipliant les projets type « Airbus » pour les batteries, les semi-conducteurs, l’hydrogène… Un succès pour « l’Airbus des batteries », un deuxième volet ayant été lancé avec notamment BMW et Stellantis en début d’année. Sur l’hydrogène, l’impulsion est même, cette fois-ci, venue côté allemand.

Et il ne faudrait pas oublier le RGPD, ce bouleversement qui s’est révélé positif pour le traitement des données : ce qui semblait être une « usine à gaz » avant son achèvement (et suscitait beaucoup de craintes) a démontré son utilité pour l’écosystème économique, et en particulier les startups, notamment en matière de protection des données personnelles.

Enfin, question Finance, le couple Macron-Merkel a redoublé d’efforts pour voir les choses en grand : tout d’abord un budget septennal (2021-2027) d’un montant record de 1 074 milliards pour l’Union Européenne, qui n’aurait pu voir le jour sans les efforts de l’Allemagne : bloqué par Varsovie et Budapest pendant 1 mois, il a finalement été validé grâce aux efforts de la présidence allemande. Et aussi un fonds de relance de 750 milliards pour accompagner la période post-pandémie.

 

Un bilan plutôt solide quand on sait la difficulté pour se mettre d’accord et/ou porter des projets d’ampleur au niveau européen. Ce qui explique sans doute pourquoi certains projets ambitieux sont, eux, restés sur le tarmac ou bien même dans les cartons.

Côté Défense, si le SCAF poursuit son envol, le MGCS connaît bien des revers. Récemment, le délégué général pour l’Armement allemand a remis un avis défavorable concernant la potentielle validation du projet par la Commission des finances du Bundestag.

Sur le Numérique, si le RGPD s’est révélé un succès, le projet Gaïa-X a connu quelques retards à l’allumage. Mais ce projet porteur est plein de promesses : l’écosystème digital permettra de garantir la souveraineté des données, leur disponibilité en toute sécurité et transparence, ainsi qu’un cadre propice au développement de produits innovants pour aider les entreprises à être compétitives au niveau mondial.

Et enfin, la pandémie a montré clairement combien il est complexe de se mettre d’accord dès qu’une crise survient (et de manière plus générale au niveau européen). Il n’a pas été possible d’envisager une coopération pour du prêt de matériel ou le développement des tests PCR, ni même une coordination sur les passages aux frontières et encore moins une politique de santé commune. Les politiques de santé sont donc restées circonscrites à chacun des pays. Au final, l’Union Européenne a mal négocié ses vaccins, et on connaît malheureusement les retards qui ont suivi. On pourra tout de même saluer la coopération transfrontalière pour l’accueil de patients malades français qui ont pu être soignés dans des hôpitaux allemands afin de soulager le système de santé tricolore, et une prise de conscience des faiblesses capacitaires européennes dans le secteur de la santé.

 

L’avenir sera-t-il forcément vert ?

Ce n’est un secret pour personne, les Verts, aussi bien en Allemagne qu’en France gagnent du terrain. Alors, les prochains président(e) et chancelier(e) seront-il forcément « verts » pour autant ?

La députée allemande des Grünen, Annalena Baerbock, a très vite indiqué ses intentions de reprendre le fauteuil d’Angela Merkel, et sa campagne était bien partie. Mais la jeune femme (40 ans), dynamique, qui portait les espoirs de son parti, a vu sa campagne entachée par des déboires (CV trompeur, plagiat…) qui lui coûtent cher. Les intentions de vote en faveur des Verts sont ainsi passées sous la barre des 20 %. Une baisse qui a profité aux conservateurs qui ont, eux, gagné 4 points dans les sondages pour atteindre 28 % des intentions de vote. Côté CDU, Armin Laschet, le candidat CDU à la succession de Merkel, ministre-président de Rhénanie du Nord Westphalie et profondément europhile, est lui aussi controversé. Et un rire (nerveux), au milieu des décombres, en plein hommage aux victimes des pluies diluviennes de juillet, lui a aussitôt fait perdre quelques points dans les sondages et a donné du grain à moudre à ceux qui le trouvent trop fade.

En France, les élections régionales ont certes permis un retour des partis traditionnels de droite et de gauche, les Français ayant plutôt boudé les extrêmes, comme les élections d’ailleurs. Les Verts, alliés au reste de la gauche, ont fait toutefois un score un peu décevant. Macron conserve ses chances, même si son mouvement n’a jamais été aussi fragilisé et s’il n’a toujours pas réussi à se créer un ancrage régional. Il pourrait surtout profiter de la division de la droite qui risque de partir aux présidentielles avec plusieurs candidats.

Mais une fois encore, contrairement aux candidats allemands qui portent une attention notable aux relations entre Berlin et Paris, les sujets de l’Europe et de l’amitié franco-allemande semblent loin des priorités publiques des candidats à la présidentielle française. Et pourtant, plus que jamais, ce moteur franco-allemand est nécessaire pour faire avancer l’Europe.

 

Laetitia Quignon – 29 juillet 2021