Le confinement est-il compatible avec les libertés fondamentales ?
La santé ou la liberté ? En France, les mesures de confinement et les importantes restrictions des libertés individuelles n’ont quasiment pas été discutées. En Allemagne, le sujet est lui au cœur du débat et le tribunal Constitutionnel de Karlsruhe pourrait être amené à le trancher.
Depuis que la Bavière a décidé d’instituer le 20 mars un semi confinement de sa population, suivie avec des modalités légèrement différentes depuis le 23 mars par les 15 autres Länder, le respect des libertés est l’objet d’intenses discussions chez nos voisins d’outre-Rhin. De plus en plus d’experts en droit constitutionnel et d’anciens juges de la Cour constitutionnelle questionnent la constitutionnalité de mesures d’exception qui privilégient la protection sanitaire collective au détriment des libertés fondamentales ou de l’économie, avec toutes les conséquences sociales que cela entraînera.
Les experts se succèdent sur les différentes chaines de télévision pour s’inquiéter de la réduction des libertés, réclamant un terme rapide et des limitations. « De nombreuses mesures visant à contenir la pandémie de corona restreignent les droits fondamentaux. Nous examinerons attentivement si les mesures prises par l’État sont compatibles avec la Loi fondamentale. S’il existe des restrictions anticonstitutionnelles aux droits fondamentaux, nous prendrons les mesures juridiques appropriées » va même à prévenir sur sa page internet la société pour les droits des libertés (Gesellschaft für Freiheitsrechte).
Ce dilemme est l’une des raisons qui expliquent pourquoi les Allemands n’ont toujours pas décidé le confinement total. Nul besoin d’attestation pour sortir de chez soi ou prendre sa voiture. Ballades et autres sorties restent autorisées même s’il faut être seul ou en famille au plus et en limiter le nombre. Dans la plupart des Länder les parcs restent ouverts. Certes, les autorités ont confiance en la discipline collective et à la responsabilité individuelle. Mais cela donne une impression de flou, entre gravité et normalité. D’où les appels à mettre en place une loi plus précise sur la protection contre l’épidémie pour que le gouvernement fédéral et les gouvernements des Länder ne travaillent plus dans un vide réglementaire.
Après seulement quelques jours de restrictions, le souhait du ministre de la santé Jens Spahn (CDU) d’instaurer une surveillance via téléphone portable pour identifier les personnes qui ont pu être en contact avec des personnes contaminées n’a pas arrangé les choses et a fourni de nouveaux arguments à ceux qui exigent une sortie rapide du confinement au nom du respect des libertés . « Les restrictions des États sont nécessaires dans la crise actuelle. Mais elles doivent rester une exception, être proportionnées et expirer le plus rapidement possible, car même en temps de crise, tout n’est pas permis » s’est empressée d’exiger l’ancienne ministre allemande de la justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger dans die Welt.
De sa quarantaine forcée, la chancelière a sifflé samedi la fin de la récréation et demandé un peu de patience. Un non sujet a-t-elle affirmé tant que les mesures mises en place n’auront pas porté leurs fruits. Pas de décision avant le 20 avril, a confirmé Helge Braun, ministre à la chancellerie fédérale et bras droit de la chancelière. Mesures prolongées jusqu’au 19 avril, a annoncé de son côté le ministre président de Bavière, Markus Söder, tout en précisant qu’il n’avait pas l’intention de les renforcer. La plus haute juridiction administrative de Bavière a d’ailleurs approuvé les restrictions de sortie et les fermetures de restaurants malgré la restriction massive des libertés fondamentales qu’elles induisent et rejeté la demande de deux particuliers qui exigeaient la suspension immédiate des mesures.
Pas suffisant toutefois pour stopper le débat dans un pays où l’attachement à la morale et le poids de l’histoire rendent la question de l’Etat de Droit extrêmement sensible. Doit-on s’accommoder du fait que les droits de l’homme et du citoyen sont suspendus afin de lutter contre l’épidémie de Covid-19? Ou dans sa version plus provocatrice : Peut-on accepter que notre société, un état de droit démocratique, soit en train de se transformer en peu de temps en un « Etat hygiéniste fascistoïdo-hystérique » ? Voici des questions que se posaient experts et journalistes ce dimanche soir à la télévision et dans les media allemands.
La démocratie est-elle compatible avec notre santé ? On peut se demander si trancher cette question de philosophie est prioritaire. Mais si l’Allemagne s’enflamme sur le sujet, c’est aussi probablement parce qu’elle n’est pas en train de compter les morts. Jusqu’ici tout est sous contrôle. So weit, so gut…
Bénédicte de Peretti – 30 mars 2020