Article paru dans l´édition « Spécial Relance Allemagne » du magazine Entreprendre à l´international, la revue des Conseillers du Commerce Extérieur

L’Allemagne met 130 milliards sur la table pour stimuler sa consommation intérieure

Après avoir des années durant serré les cordons de la bourse, l’Allemagne a sorti le grand jeu pour relancer l’économie et panser les plaies après deux mois de quasi-confinement. Pas moins de 130 milliards vont être mis sur la table dès le mois de juillet afin de stimuler une reprise espérée dans le courant de l’été. L’objectif est clair pour le ministre de l’économie Peter Altmaier : donner une « lueur d’espoir » aux acteurs économiques pour qu’ils consomment et investissent de nouveau après deux trimestres catastrophiques.

Priorité de la présidence allemande du Conseil de l'Union Européenne

Contrairement à la France, l’Allemagne a laissé ses entreprises continuer un minimum de tourner pendant les deux mois de semi-confinement. Mais sa dépendance aux exportations peut représenter de fait un souci pour l’avenir. Rien que sur avril, celles-ci ont chuté de 31% sur un an. Soit 30 milliards d’euros évaporés sur le mois. De nombreux hommes politiques, Donald Trump en tête, estiment qu’il faut repenser nos modes de production et de consommation mondialisés pour revenir au local. Ils le disent haut et suffisamment fort pour que cela commence à inquiéter certains patrons, économistes et politiques allemands.

Longtemps la force de l’économie allemande, sa dépendance à l’export pourrait bien devenir son talon d’Achille. Certains experts prédisent que les années dorées des constructeurs automobiles et des fabricants de machines ne reviendront pas aussi facilement. Pas étonnant donc que le gouvernement allemand pousse aujourd’hui sa demande intérieure, avant que la situation ne devienne critique, ce que ses voisins européens lui réclamaient depuis longtemps pour réduire ses impressionnants excédents commerciaux. Et après avoir eu les yeux rivés sur la Chine et les Etats-Unis, les patrons et politiques allemands commencent à comprendre que l’Europe, où s’écoulent toujours aujourd’hui les deux tiers de ses exportations, est plus à choyer qu’un Xi Jinping ou Donald Trump. Et ce, d’autant plus que l’Allemagne prendra le 1er juillet la présidence du Conseil de l’Union Européenne et qu’il lui tient à cœur à la fois de redonner un nouvel élan à l’Europe et d’en redevenir sa locomotive.

En un mois en avril, la production industrielle a reculé de 17,9% selon les données de Destatis, l’office fédéral de la statistique. Le PIB devrait chuter d’au moins 11% au deuxième trimestre de 2020, soit au mieux une baisse qui pourrait atteindre près de 10% sur l’ensemble de l’année selon les économistes si rien n’était fait. Plus de 12 millions d’actifs ont été inscrits par leur entreprise en mai au chômage partiel même si au final le nombre réel pourrait se réduire à quelque 7 à 8 millions. Des chiffres qui exigeaient une réponse courageuse et ambitieuse, des mots même de la chancelière Angela Merkel pour réduire au maximum la durée de la récession et son ampleur.

Le plan de relance économique post COVID-19 prévoit ainsi toute une panoplie de mesures pour soutenir la demande intérieure. Une des dispositions a surpris et suscité le plus de critiques : la réduction de 3 points à 16% de la taxe sur la valeur ajoutée de juillet à décembre (de 2% pour le taux réduit qui passe à 5%). Sont également prévues des aides aux collectivités locales, aux entreprises des secteurs les plus touchés, le versement d’une allocation exceptionnelle de 300 euros par enfant, un doublement de la prime à l’achat de voitures électriques, une baisse de la taxe EEG de soutien aux énergies renouvelables afin de réduire le coût de l’électricité qui est l’une des plus chère d’Europe et la promotion des technologies du futur. Mais aussi 9 milliards pour soutenir le développement de l’hydrogène, l’objectif étant de faire du pays le numéro un mondial de cette technologie d’ici une décennie avec une production annuelle, à partir d’énergies renouvelables, de quelque 5 gigawatts.

Pour Merkel, ce « bon socle » de mesures doit permettre de sortir « ensemble » et rapidement de cette « situation extrêmement difficile ». Ce plan de relance d’un montant historique vient s’ajouter aux plus de 1.100 milliards d’euros déjà annoncés en mars. L’Allemagne « bénéficie » il est vrai des excédents budgétaires accumulés ces dernières années – 13,5 milliards d’euros en 2019- qui avaient réduit considérablement l’endettement du pays. Olaf Scholz, le ministre des Finances, a justifié la générosité du plan de relance par la volonté de frapper les esprits. L’idée est qu’en ne lésinant pas sur la dépense, les Allemands gagneraient en confiance, ce qui les inciterait davantage à consommer. Dans des cuisines, des voyages, des vélos et des autos, tel qu’il l’a décrit. À l’inverse, un plan trop timoré aurait risqué de laisser les consommateurs indifférents.

D’après l’institut de recherches berlinois DIW, le plan de relance pourrait permettre de « sauver 1,3% » de PIB cette année et autant l’an prochain. Entre les incitations à consommer, les investissements promis dans la transition vers l’énergie verte et les innovations technologiques, « c’est un plan équilibré qui répond aux besoins immédiats – c’est-à-dire la relance de la consommation – et trace une feuille de route pour l’avenir, se persuade le gouvernement allemand.

Mais le pari d’une relance par la baisse de la TVA n’en est pas moins risqué. « On sait qu’en période de récession traditionnelle, c’est un moyen très efficace pour relancer la consommation, mais le caractère exceptionnel de cette crise sanitaire rend beaucoup plus imprévisible la réaction des acteurs économiques », explique Alexandre Baradez, un analyste financier d’IG France. La crainte d’un retour du coronavirus peut pousser les consommateurs à préférer l’épargne malgré les incitations à dépenser, tandis que les entreprises pourraient être tentées de ne pas répercuter la baisse de la TVA sur les prix, afin d’améliorer leurs comptes. Et ce ne sont pas les liquidités ou l’épargne qui manquent actuellement ! Sans compter la complexité que cela représente pour les sociétés et qu’il faudra réexpliquer aux consommateurs en janvier prochain pourquoi les prix remontent autant. D’ailleurs, 85% des Allemands estiment d’après un sondage que la mesure qui va couter 20 milliards d’euros n’apportera rien ou pas grand-chose à l’économie.

Le bazooka financier menace par ailleurs d’alimenter un nouveau conflit générationnel à moyen terme. Les décideurs d’aujourd’hui déplaçant le conflit de répartition des charges à supporter sur les générations futures. Pour l’instant, le plan semble toutefois être plutôt bien passé. 68% l’approuvent d’après un sondage réalisé par l’institut Wahlern dans la foulée de sa publication. Et juste avant, au 31 mai, 55% des Allemands avaient confiance dans leur gouvernement et sa capacité à lutter contre l´épidémie de COVID-19. Un niveau élevé comparé à la plupart des grands pays, comme la France, même si le niveau de satisfaits a baissé depuis le pic de 71% le 2 mai. Pas étonnant que la cote de popularité d’Angela Merkel et de son parti la CDU et son allié bavarois la CSU soit autant remontée dans les sondages. De 27% début mars à quelque 40% aujourd’hui. Lors des dernières élections en septembre 2017, la CDU/CSU avait obtenu 32,9% des voix.

Bénédicte de PERETTI
Président des CCE de Bavière et secrétaire générale des CCE d’Allemagne

 

L’Allemagne veut relancer le moteur européen et sauver ses exportations
Au 1er juillet, l’Allemagne va prendre la présidence du Conseil européen. Peut-être une première raison qui explique pourquoi finalement après avoir résisté des années durant à payer les dettes de l’Europe, l’Allemagne s’est résignée à soutenir la France et à lancer cette initiative franco-allemande qui en a surpris plus d’un. Ce plan annoncé mi-mai par la Chancelière et Emmanuel Macron prévoit notamment un fonds de relance de 500 milliards d’euros qui sera destiné en priorité aux secteurs et régions du continent les plus touchés par l’épidémie.

La conversion d’Angela Merkel à un plan de relance financé par le biais de la dette européenne a pris de court bon nombre d’observateurs. N’était-ce pas cette même Chancelière qui, autrefois, exigeait des États membres en difficulté qu’ils remboursent seuls leurs emprunts à court terme, qui désormais accepte, certes dans un cadre limité et spécifique, un endettement commun pour financer sous forme de dons des dépenses spécifiques dans les pays les plus touchés. L’enveloppe de 500 milliards est largement supérieure aux plafonds autrefois envisagés à Berlin. Et sur cette part, l’Allemagne, qui contribue à hauteur de 27 % au budget communautaire, devrait payer la plus grosse quote-part.

Une deuxième raison semble également avoir fait pencher la balance. La Chancelière avait de quoi craindre également que si l’Allemagne sortait au final renforcée de la pandémie du COVID 19, le fossé avec ses autres partenaires s’en trouverait aggravé. Au moment où la Chine et les Etats-Unis commencent à se refermer, impossible de sous-estimer l’importance du marché intérieur européen pour écouler ses produits. D’où l’appel à la solidarité lancé et l’initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus qu’elle a réussi à imposer aux Allemands.
Il est clairement dans l’intérêt de l’Allemagne de mettre rapidement en œuvre le plan de reconstruction de l’Union Européenne. Et certains économistes de réclamer que le gouvernement allemand s’attelle aussi au développement du marché intérieur après une longue période de stagnation – pour y inclure les services, l’énergie et la finance.