Article paru dans l´édition « Spécial Coronavirus » du magazine Entreprendre à l´international, la revue des Conseillers du Commerce Exterieur

Les entreprises allemandes réclament un plan clair de sortie de crise
Quelque 6 600 morts « seulement » en Allemagne au 2 mai quand la France en comptait près de 24 600. Et pourtant le nombre de personnes officiellement infectées dans l´Hexagone était seulement légèrement supérieur (plus de 168.000) au nombre allemand (quelque 161 700). Aujourd’hui, l’Allemagne s’en sort mieux, ce qui incite les entreprises à réclamer un cadre clair et précis pour la reprise et plus de marge de manœuvre pour relancer la machine. Et d´alerter sur les conséquences fatales d´une crise qui serait principalement gérée sous l´angle de l’urgence sanitaire en faisant abstraction des conséquences économiques et sociales qui seront plus terribles encore. Mais la chancelière craint une deuxième vague.

Comment l’Allemagne a-t-elle réussi à mieux s´en sortir ? Les analyses sont multiples. Fédéralisme qui permet des décisions adaptées aux réalités locales, mais aussi de stimuler la recherche collective des meilleures solutions au lieu d’imposer une voie unique décidée par quelques-uns. Meilleur système médical qui permettait à l’Allemagne de disposer dès le début de la crise de 28 000 lits de réanimation (40 000 aujourd´hui) – même si les statistiques sont trompeuses car on ne compte pas de la même façon – quand la France n´en comptait que 5 000 (10 000 aujourd´hui). Meilleure collaboration entre les hôpitaux publics et privés et les instituts de recherche universitaires. Intervention plus rapide sur les patients et thérapies moins radicales. Démarrage plus rapide des tests à grande échelle pour tenter de ralentir la propagation de l’épidémie et éviter la saturation de son système de soins, quand la France n’a seulement commencé à autoriser les tests que le 7 mars. La liste des différences dans la gestion de la crise sanitaire est longue, même si les chiffres ne suffisent pas à tout expliquer et sont à prendre avec précaution puisque les Allemands par exemple ne contrôlent pas l’existence du virus a posteriori sur leurs morts.

La prudence reste cependant de mise outre-Rhin. Les virologues allemands avertissent que le pays a eu jusqu’à présent de la chance, mais que l’avenir n’est pas assuré. « L’Allemagne devra vivre avec le virus pendant longtemps » ne cesse de marteler la chancelière allemande en répétant qu’il ne faut pas s´attendre à retourner avant longtemps à la vie que nous connaissions avant le Corona.

En attendant, même si seulement les personnes en contact avec des malades du Corona, revenant de régions à risque ou présentant des symptômes étaient ciblées, l’accélération rapide des tests a permis d’isoler les premiers cas qui ont touché essentiellement des personnes jeunes. De 7 115 tests en moyenne par jour la première semaine de mars, ils sont passés à plus de 65 000 la troisième semaine et plus de 125 000 mi-avril, soit 650 000 de capacités alors que nous n’en réalisions que quelque 140 000. Et ils annoncent déjà être en mesure d´en faire 2 millions rapidement. Ce recours au dépistage massif a fait ses preuves. Surtout, il a permis à l’Allemagne d’éviter un confinement radical ou une mise à l´arrêt à grande échelle de son économie.

Les Allemands ont pu continuer à se déplacer et à se promener, même si pour assurer un minimum de distanciation sociale, de nombreux salariés ont été envoyés en avril en home office ou en vacances. La fermeture des restaurants, cafés, agences de voyage et autres magasins non alimentaires a toutefois entraîné un recours massif aux mesures de chômage partiel, comme dans l’automobile et certains secteurs industriels. Au total, à fin avril ce sont 751.000 entreprises qui ont profité des mesures de chômage partiel pour un total de 10,1 millions de personnes, soit un niveau similaire à la France. Même si artisans, bâtiments et de nombreuses usines ont de leur côté continué à travailler, ce qui laissait à penser aux économistes allemands mi-avril que le PIB cette année ne chuterait que de 4,5 % (7 % d´après le FMI) quand la France annonçait une baisse de 8 % (- 7,2 % d´après le FMI). Quinze jours après les chiffres ont déjà été revu significativement. Le gouvernement parle d´une baisse de 6,3%. D´autres experts sont plus pessimistes encore même si depuis le 20 avril les mesures de restriction ont été assouplies.

L´Allemagne de toutes façons n´a jamais été complètement confinée. Une « semi-liberté » par rapport aux voisins européens qu´Angela Merkel a passé beaucoup de temps à justifier. Il faut dire que dans un pays où l’attachement à la morale et le poids de l’histoire rendent la question de l’Etat de Droit extrêmement sensible, l´idée de devoir choisir entre la santé ou la liberté a provoqué dès le départ un vaste débat. Avant même que la Bavière ne décide d’instituer le 20 mars un semi confinement de sa population, suivie depuis le 23 mars – avec des modalités légèrement différentes – par les 15 autres Länder, le respect des libertés y a fait l’objet d’intenses discussions. Experts en droit constitutionnel et politiques de tout bord n´ont cessé de questionner la constitutionnalité de mesures d’exception qui privilégient la protection sanitaire collective au détriment des libertés fondamentales ou de l’économie, avec toutes les conséquences sociales que cela entraînera. Doit-on s’accommoder du fait que les droits de l’homme et du citoyen sont suspendus afin de lutter contre l’épidémie de Covid-19 ? Ou dans sa version plus provocatrice : peut-on accepter que notre société, un état de droit démocratique, soit en train de se transformer en peu de temps en un « Etat hygiéniste fascistoïdo-hystérique » ?

« Cette pandémie représente une atteinte à la démocratie » a reconnu Angela Merkel le 23 avril dans sa première déclaration de politique générale devant le Bundestag depuis le début de la Crise du Corona, au moment où le pays assouplit les restrictions. Juste avant, elle s’était emportée – chose rare – contre « l’orgie » de discussions autour du retour à la normale et de la légèreté de la population et des responsables politiques. Depuis le 20 avril, dans la plupart des Länder, les petits commerces de moins de 800 m2 ont été autorisé à rouvrir. La Bavière, Land le plus touché, a repoussé d´une semaine. Les écoles également en fonction des niveaux commencent à réaccueillir progressivement des élèves. En Saxe, on célèbre de nouveau la messe. A Berlin, la garde d’urgence en crèche, réservée jusqu’ici aux enfants de certaines professions, notamment médicales, devait s’élargir à d’autres secteurs dès le 27 avril. Les coiffeurs prennent des rendez-vous pour début mai. Dans la plupart des Länder, le port du masque dans les magasins et les transports publics a été rendu obligatoire.

Les usines qui avaient été mises à l´arrêt ont aussi relancé peu à peu les machines après avoir repensé leur organisation du travail et mis en place des mesures d´hygiènes draconiennes pour assurer la distanciation sociale indispensable, et éviter qu´une deuxième vague ne vienne anéantir les efforts précédents. Un casse-tête aussi dans les bureaux pour les DRH alors que l´Allemagne s´était mise aux open-spaces tardivement mais jugé indispensable pour remettre en route la machine économique. Un assouplissement des restrictions qui ne va toutefois pas assez loin pour les entreprises allemandes qui alertent des conséquences fatales d´une crise qui serait principalement gérée sous l´angle de l’urgence sanitaire en faisant abstraction des conséquences économiques et sociales qui seront plus terribles encore. Dieter Kempf, le président du BDI, la puissante confédération de l´industrie allemande, a lancé un ultimatum le 2 mai à la chancelière pour qu´elle donne d´ici au 6 mai un calendrier et un plan précis. « La récession dont laquelle nous sommes en train de tomber est un prix très, très élevé, dont nous avons beaucoup trop peu parlé ces dernières semaines » soutient de son côté Armin Laschet, le ministre-président du plus gros Länder allemand, la Rhénanie du Nord Wesphalie, en campagne pour succéder à Merkel dans 18 mois. Et d´estimer qu´il est plus important de remettre les gens au travail que de les laisser plonger, au chômage partiel, dans une déprime qui fera plus de dégâts au final.

Bénédicte de PERETTI

 

Plus de 1 100 milliards mis sur la table en Allemagne pour soutenir l´économie
Le gouvernement a sorti le « bazooka » pour soutenir son économie, selon les mots de son ministre des Finances Olaf Scholz. Le pays a mis beaucoup d´argent sur la table, quitte à renoncer à la « sacro-sainte » règle de l´équilibre budgétaire, ce fameux « schwarze Null » (zéro noir) qui guide la politique économique de notre voisin depuis plusieurs années. Le plan de relance prévoit notamment 156 milliards de nouvelles dettes, l’octroi de 100 milliards via un fonds de stabilité qui pourra prendre des participations directes dans des entreprises, une enveloppe de 100 milliards accordés à la banque publique de développement KfW pour financer des prêts à des sociétés en difficulté et 400 milliards de garanties. L´indemnité de chômage partiel initialement de 60 % du salaire net (67 % pour ceux qui ont des enfants) va augmenter au bout de trois mois à 70 et 77 % si baisse de 50 % au moins de l´activité, et à 80 et 87 % au bout de six mois. Au total, les mesures mises en place au niveau fédéral mais également au niveau des Länder et des communes mobiliseront au moins quelque 1 100 milliards. Mais si le redémarrage ne suit pas, les experts craignent que l´addition ne s´alourdisse.