Des élections au Bundestag particulièrement complexes

Si vous demandez à un Allemand de vous expliquer comment fonctionne le vote au Bundestag, il est fort probable que sa réponse vous semble un peu confuse. Contrairement aux stéréotypes, l’Allemagne peut être compliquée. Mode d’emploi des élections allemandes : un scrutin à un tour et à deux voix où personne ne sait exactement aujourd’hui combien de députés siègeront dans la nouvelle législature. Peut-être plus de 1 000, dans le pire des scénarios, contre 709 aujourd’hui.

 

Ce dimanche 26 septembre, les Allemands votent pour élire leurs députés qui siègeront à Berlin. Ce sera aussi la fin du règne d’Angela Merkel après 16 ans. Le début d’une nouvelle époque politique. Un résultat est déjà clair, même s’il y a 6 mois la situation se présentait différemment : le prochain Chancelier sera un homme, soit le chrétien-démocrate Armin Laschet, 60 ans, le Premier ministre de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie depuis 2017, soit le social-démocrate Olaf Scholz, 63 ans, l’actuel ministre fédéral de Finances. Les sondages annoncent le parti de ce dernier en tête mais une surprise n’est pas à écarter. Restera ensuite à former une coalition pour s’assurer la majorité des sièges au Bundestag. Et c’est là que commence le casse-tête, car si le nombre de députés explose, l’équation finale pourrait être différente de ce qu’on peut imaginer comme scénario aujourd’hui. Il ne suffit pas d’avoir le plus de voix pour obtenir le droit de former un gouvernement mais bien le plus de sièges. Et là, le processus électoral allemand est d’une complexité… parfaitement organisée.

 

De 598… à plus de 1 000 députés

En France, un député représente une circonscription. Ainsi, 577 circonscriptions = 577 députés.
En Allemagne, il y a 299 circonscriptions, mais le Parlement fédéral accueille 598 députés… au minimum.

La moitié de ces sièges correspond effectivement aux 299 circonscriptions. Le candidat qui localement y recueille le plus de voix est donc élu directement. A ce scrutin direct vient s’ajouter un scrutin de liste. Les Allemands ont ainsi deux voix, la deuxième voix étant donnée à un parti. 299 sièges sont donc attribués selon la règle proportionnelle entre les partis qui ont recueilli au moins 5 % des suffrages au niveau national ou au minimum trois mandats directs.

299 élus au scrutin majoritaire + 299 députés élus à la proportionnelle = 598 députés. Alors pourquoi le Bundestag sortant comptait-il 709 députés ? La future Assemblée pourrait même atteindre le record de plus de 1 000 députés, selon les experts de cette arithmétique hermétique qu’est le calcul du nombre de représentants au Bundestag.

Car il n’est pas rare que les Allemands votent pour un député local d’un parti avec sa première voix et donnent leur deuxième voix à un autre parti. Cette deuxième voix compte au niveau régional des Länder pour la moitié des élus envoyés à Berlin. Par exemple, la CSU pourrait obtenir les 46 sièges directement élus en Bavière, comme en 2017, alors qu’elle finirait avec seulement 25 ou 30 % des voix bavaroises, ce qui au final serait au-dessous de la barre des 5 % des suffrages exprimés sur toute l’Allemagne. C’est pourquoi, dans un souci d’équilibre et afin d’éviter une trop grande distorsion entre le nombre de voix recueillies par un parti au scrutin proportionnel et son nombre de députés désignés au scrutin majoritaire, les Allemands ont introduit des mandats de compensation. Et si la CSU arrive à accrocher plus de mandats directs que ce à quoi elle aurait droit au vu du pourcentage de voix récoltées, les autres partis obtiendraient des compensations. En 2017, il y a eu 78 députés supplémentaires. Cette année, ces mandats pourraient représenter entre 200 et 400 sièges en plus. Ce qui, au passage, outre les coûts supplémentaires engendrés, compliquerait également fortement le fonctionnement du Bundestag.

 

« Grande », « feu tricolore » ou « jamaïcaine », quelle coalition ?

47 partis se présentent en 2021 – un record depuis la réunification – dont seulement 11 sont éligibles dans tous les Länder. D’après les derniers sondages, le SPD pourrait virer en tête avec 25 %, tout juste devant la CDU/CSU avec 22-23 %. Les Verts pourraient tomber à 15 % selon les sondages les plus pessimistes. Mais Annalena Baerbock (40 ans) devrait être, avec son parti, indispensable pour former une coalition. Tout comme les libéraux du FDP qui ont profité des déboires de la CDU pour remonter autour des 12 %. Leur président, Christian Lindner (42 ans) a déjà annoncé qu’il prendrait bien le poste du ministre fédéral des Finances à Berlin.

On pourrait donc assister à une combinaison originale dite « jamaïcaine », qui associerait le noir, couleur de la démocratie chrétienne, avec le jaune, couleur des libéraux, et le vert des écologistes. C’est le but d’Armin Laschet. Mais il semble avoir toujours du mal à s’imposer au sein de son propre parti. La lutte de pouvoir avec le Premier ministre bavarois Markus Söder (54 ans) reste vivace. Nombreux sont donc ceux qui parient plutôt sur une coalition SPD – Verts – libéraux en feu tricolore (rouge, vert, jaune), même si sur certains dossiers économiques et environnementaux le consensus sera difficile à trouver. Une grande coalition SPD/CDU/CSU, comme actuellement, semble en revanche moins probable.

Derrière, l’extrême droite de l’AfD (11 %) représente la quatrième force politique du pays. Et Die LINKE, derrière le parti de gauche, n’est plus crédité que de 6 %. Mais ce parti, héritier du parti communiste de RDA fusionné avec l’aile très à gauche du SPD, a théoriquement aussi une chance de faire partie d’un gouvernement. Une telle coalition dite rouge-rouge-vert (R2G) serait toujours en lice d’après certains sondages. Les surprises ne sont donc pas à exclure.

 

Pas de gouvernement avant plusieurs semaines

La formation de la coalition sera donc longue et complexe. Ce sont les parlementaires qui désignent le Chancelier. Le parti qui aura obtenu le plus de sièges tentera donc d’abord de former une coalition. Des négociations seront ensuite entamées pour un contrat de coalition, un document de cent à deux cents pages, dans lequel seront listés toutes les réformes/projets devant aboutir pendant les 4 ans de législature.

A noter que l’Europe n’a pas été un sujet vraiment traité pendant la campagne. Outre l’écologie, les sujets centrés sur la politique intérieure, le travail et les retraites, une « assurance citoyenne » pour tous, l’éducation ou la sécurité, la politique budgétaire et le remboursement du grand emprunt, … ont été davantage au cœur des débats avec des propositions assez divergentes. Sur la politique de défense commune, tous les grands partis sont plutôt sur la même ligne même si SPD, FDP et CDU n’ont pas la même vision du montant des fonds à prévoir, sans parler des Verts et du parti Die Linke. Beaucoup d’autres sujets n’ont guère été adressés, comme le renforcement des frontières extérieures, comment gérer les flux des réfugiés en Europe, le rôle de l’Allemagne dans le monde et même, paradoxalement, la lutte contre le virus. En revanche, après s’y être formellement opposée, l’Allemagne pourrait se résoudre, sous la pression des Verts, à limiter sa vitesse sur les autoroutes.

En 2017, le document avait 175 pages. Il a l’avantage de donner de la visibilité aux entreprises mais l’inconvénient de ne pas être toujours très créatif puisqu’il est le résultat d’un compromis. Autant dire qu’il ne s´écrit pas en une semaine et qu’il s’écoulera plusieurs semaines avant que l´élection du chancelier n’ait lieu, en fonction, bien sûr, du rapport de force final. Avec 3 partis dans la coalition et peut-être 4 si le CDU gagne (car les bavarois de la CSU sont indépendants) ce processus devient encore plus compliqué.

Pendant ce temps, c’est le gouvernement actuel d’Angela Merkel qui gèrera les affaires courantes. Et c’est seulement au terme de l´écriture du contrat de coalition que les partenaires se répartiront les ministères, à charge pour chacun d´entre eux de nommer ministres et secrétaires d´Etat pour les portefeuilles qu´ils auront reçus, l’autre parti n´ayant aucun droit de regard sur ces nominations. Ce n’est donc pas le chancelier qui nomme ses ministres et ceux-ci, de ce fait, détiennent un pouvoir nettement plus important que celui qu’ils ont en France. En général, les portefeuilles sont aussi répartis de manière à ce que tous les Länder (ou les principaux) y soient représentés. Lors des dernières élections de septembre 2017, la prise de fonction du gouvernement n’était intervenue que le 14 mars 2018, soit presque 6 mois après les législatives.

 

 

Bénédicte de Peretti – 24 septembre 2021