Les médias soufflent le froid et le chaud sur le climat
Incendies, records de chaleur quotidiens, canicules, éboulements… les manifestations du réchauffement climatique sont légion, surtout en cette période de l’année. Et pourtant, l’envolée du mercure n’est que la manifestation d’un problème dont on peine à appréhender l’ampleur. Selon le collectif citoyen Plus de climat dans les Médias, seuls 3 % des reportages télévisés mentionneraient le changement climatique. Claire Morvan, porte-parole de cet observatoire bénévole, estime que les médias se cantonnent trop souvent à « l’anecdotique », commentant les conséquences du réchauffement, au lieu de décrypter une « catastrophe systémique ».
Entre 1998 et 2020, le nombre de sujets consacrés à l’environnement dans les JT du soir des 5 chaînes « historiques » (TF1, France 2, France 3, Arte et M6) a plus que doublé, selon l’INA. Pourtant, en 2019, 57 % des Français estiment que le dérèglement climatique est « mal traité » dans les médias, selon un baromètre réalisé par Kantar pour La Croix.
Une première prise de conscience en France…
C’est il y a un an, en août 2022, face à l’ampleur d’une sécheresse historique, que naît la première vraie prise de conscience médiatique. Et, avec elle, des initiatives pour changer le traitement du climat : plusieurs médias, comme Le Parisien ou Le Monde, décident de ne plus afficher d’illustrations positives de la chaleur : adieu personnes en maillot de bain ou mangeant des glaces sur la plage pour parler de canicule. En hiver, on ne montrera plus à la télévision de passants en tee-shirt se félicitant de « la douceur hivernale ».
En septembre dernier, une charte « pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique » a d’ailleurs été rédigée par le média Vert et signée par plus de 400 professionnels et rédactions.
Certains présentateurs ou journalistes saluent « une vraie prise de conscience » au sein des rédactions, qui passe aussi par la formation : l’école supérieure de journalisme de Lille a par exemple mis en place une formation obligatoire aux enjeux climatiques depuis 2022. Et qui se traduit aussi par la création de médias ou de rubriques dédiés à l’environnement, comme le projet ‘Adaptation’ du Monde.
Tout récemment encore, le 31 août, le groupe Les Echos – Le Parisien a quant à lui annoncé le lancement dans les prochains mois d’un nouveau média dédié à la transition écologique en partenariat avec Netexplo, une agence spécialisée dans les conférences sur le numérique et le décryptage des tendances.
Autre nouveauté : la création sur France 2 et France 3 d’un « journal de la météo et du climat » au lieu de son traditionnel bulletin météo du soir, décryptant notamment l’augmentation de la température de la planète liée aux activités humaines depuis 1900. L’Institut du développement durable et des relations internationales a salué un « bon usage » des données ainsi que l’effort de visualisation et de vulgarisation afin de toucher le plus grand nombre.
… mais encore un long chemin à parcourir
Les médias « ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir » ont rappelé les experts du GIEC dans leur dernier rapport. Si les médias ont de plus en plus conscience de leur responsabilité, il reste encore du chemin à parcourir.
En 2022, Le Monde notait que « là où des médias indépendants (Vert, Socialter, Climax, etc.) et des collectifs d’activistes (Pour un réveil écologique, Climat Médias, Extinction Rebellion, Dernière Rénovation, etc.) se sont installés dans des rôles d’aiguillons sur ces questions, ni L’Express ni Marianne ni Le Point ni Valeurs Actuelles, etc. n’ont encore consacré à l’enchaînement d’événements dramatiques de l’été la moindre « une ». Une visibilité encore toute relative, donc…
Selon une étude publiée dans la revue Global Environmental Change, les études scientifiques retenant le plus l’attention des grands médias sont celles traitant de conséquences lointaines et à grande échelle du réchauffement climatique et proposant des projections à long terme pouvant provoquer « le déni et l’évitement » chez les lecteurs.
En cause selon Maxime Thuillez, fondateur du média spécialisé sur l’écologie Greenletter Club : « les médias traitent peu et mal ces sujets parce qu’ils n’ont pas le temps et que ces questions sont extraordinairement complexes ». Ce dernier explique par ailleurs que « le modèle économique de certains journaux, avec des actionnaires industriels, n’offre pas toute la liberté pour dire l’urgence de réduire notre consommation, comme le préconise le Giec ».
Le collectif Pour un Réveil écologique vient d’ailleurs de publier en juin 2023 un rapport s’intéressant à la question suivante : « La transition écologique a-t-elle bonne presse dans les médias ? », qui conclut sans surprise à « l’insuffisante prise en compte des enjeux écologiques dans le traitement de l’actualité ». Le rapport déplore notamment le manque de formation des journalistes et le fonctionnement trop « siloté » des rédactions. Il préconise par exemple de supprimer progressivement des encarts publicitaires les produits et services « écologiquement insoutenables ».
Peut mieux faire donc pour l’Hexagone, mais qu’en est-il de ses voisins ?
Une étude récente publiée dans la revue spécialisée Digital News Report a examiné de près la couverture du rapport du GIEC de 2021 sur 20 chaînes de télévision en Australie, au Brésil, en Suède, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il apparaît que les médias dits mainstream ont éliminé toute trace de climatosceptisme par rapport au niveau observé en 2013 et 2014, contrairement aux médias considérés de droite comme Fox News, qui continuent de propager ces idées. Mais le problème ne se limite pas à l’espace anglophone. Début 2023, une étude de l’Université de Hambourg a démontré que, sur les trois chaînes principales allemandes de télévision (Das Erste, ZDF et WDR), les sujets climatiques n’ont représenté que 2 % du contenu. Le quotidien autrichien Der Standard note d’ailleurs que, si le climatosceptisme « traditionnel » tel qu’observé dans les années 2012-2013 a pratiquement disparu des antennes allemandes, une nouvelle forme de climatosceptisme, appelée response skepticism, a fait son apparition, consistant à contester non pas l’existence d’un dérèglement climatique mais les mesures prises pour y faire face.
De belles initiatives ont néanmoins vu le jour dans l’espace germanophone, comme avec l’association à but non lucratif KLIMA° vor acht, qui s’est fixé pour objectif de faire progresser l’audience des reportages sur le climat à la télévision.
Conclusion
Face à une crise systémique d’une telle ampleur, il n’est pas toujours évident pour les médias français et européens de savoir par quel angle sous quelle forme traiter l’information, d’autant plus à l’heure de la multiplication des prises de parole. Et si depuis un an environ les initiatives se multiplient pour donner davantage de visibilité au changement climatique, le traitement médiatique de ces sujets laisse encore à désirer. Manque de temps, de formation, de budget, de liberté d’expression… les causes peuvent être multiples. Il ressort des différentes études que le traitement médiatique des sujets écologiques devrait s’envisager de façon plus concrète, à court terme et s’accompagner de solutions pratiques, sans toutefois devenir anxiogène. Il y a de grandes raisons d’espérer que ces nouveaux médias et formats sauront prendre ces éléments en compte pour donner au plus grand nombre accès à une information fiable et lutter contre les nouvelles formes de scepticisme.
Sources
Articles de presse
https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/le-groupe-les-echos-le-parisien-va-lancer-un-nouveau-media-sur-la-transition-ecologique-1974311
https://www.20minutes.fr/planete/4027850-20230314-meteo-nouveau-bulletin-france-televisions-formidable-outil-pedagogique
https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/rechauffement-climatique-bouscules-les-medias-changent-leur-maniere-den-parler-09-08-2022-D7HRKCG3IJFABN72VYCKXKQ4TU.php
https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/tribune-a-l-heure-ou-le-climat-s-emballe-des-journalistes-lancent-une-charte-pour-un-traitement-mediatique-a-la-hauteur-de-l-urgence-ecologique_5337202.html
https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/08/20/climat-un-traitement-mediatique-qui-ne-passe-plus_6138537_3244.html
https://www.lunion.fr/id496616/article/2023-06-23/pourquoi-la-crise-climatique-simpose-aux-medias#
https://larevuedesmedias.ina.fr/environnement-jt-information-television-energie-climat-pollution-biodiversite
https://www.liberation.fr/checknews/traitement-mediatique-des-sciences-du-climat-des-choix-peu-propices-a-la-mobilisation-des-citoyens-20230511_73BZTBQKWZHLVAWD42PCM6Q7IA/
https://www.lavoixdunord.fr/1319771/article/2023-04-23/climat-le-traitement-mediatique-actuel-favoriserait-le-deni-selon-une-etude
https://braunschweig-spiegel.de/klima-im-fernsehen-nur-2-bei-das-erste-zdf-und-wdr/
https://taz.de/Sendezeit-fuers-Klima/!5914530/
https://www.derstandard.at/story/3000000175977/die-leugnung-des-klimawandels-in-den-medien-ging-stark-zurueck
Rapports et documents
https://chartejournalismeecologie.files.wordpress.com/2022/09/charte_journalisme_ecologique_140922.pdf
https://pour-un-reveil-ecologique.org/documents/71/La_transition_%C3%A9cologue_a_t_elle_bonne_presse_dans_les_m%C3%A9dias_-_rapport.pdf
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378023000419
Léa-Marine Simon – 14 septembre 2023