D’ici à Pâques le temps est compté pour un programme de réformes franco-allemand vraiment ambitieux !

À peine le gouvernement allemand a-t-il prêté serment à Berlin et les premiers politiques allemands sont-ils arrivés à Paris pour leur visite officielle, que déjà le président Macron présente les grands thèmes de la présidence française de l’UE pour 2022. La pression du calendrier est énorme ! D’ici à Pâques, certains compromis devront avoir été actés à Bruxelles et, juste après, les Français devront se rendre aux urnes pour les présidentielles. En Allemagne, bien que le gouvernement dit « feu tricolore » (SPD, Verts, libéraux du FDP) ait été formé, les représentants du gouvernement et les décideurs sont toujours en phase d’acclimatation. À l’exception du chancelier Olaf Scholz, presque aucun ministre n’a d’expérience en politique étrangère. Et il ne reste plus beaucoup de temps pour préparer la présidence allemande du G7 en 2022. Les lignes politiques actuelles de Paris et de Berlin vont-elles dans le même sens ? Quels sont les potentiels points de conflit ?

 

Les priorités définies par la France pour la présidence de l’UE incluent le développement durable (Green Deal), une protection renforcée des frontières extérieures de l’espace Schengen (immigration), une politique commune de défense (coopération en matière d’armement) et de nouvelles règles budgétaires (critères de Maastricht). La France veut renforcer la capacité d’action de l’Europe. Emmanuel Macron milite ainsi particulièrement en faveur d’une nouvelle politique industrielle de l’UE, qui s’appuierait sur des technologies-clés : l’hydrogène, les batteries, les semi-conducteurs, le cloud et la défense. D’ici mars 2022, Paris a prévu de mettre en place des plans d’investissement européens et de nouer de nouveaux partenariats industriels. Paris souhaite à la fois concrétiser le Green Deal et la protection de l’industrie à forte consommation énergétique, et mener à bien certains projets de loi existants, tels que le Digital Markets Act, le Digital Services Act et l’Union bancaire.

 

La France et l’Allemagne misent sur les politiques industrielles

Berlin soutient les plans ambitieux de la France pour la présidence de l’UE, dont les projets semblent cohérents. Et il se trouve que la coalition « feu tricolore » souhaite, elle aussi, renforcer la souveraineté européenne. Son contrat gouvernemental définit en effet des domaines stratégiques d’action commune, comme les technologies numériques, l’approvisionnement en énergie, la santé ou les importations de matières premières. L’Europe doit réduire sa dépendance extérieure et sa vulnérabilité, sans pour autant se refermer. L’Allemagne veut améliorer la protection des technologies et des infrastructures critiques, orientant en conséquence ses normes et approvisionnements, et créer un consortium européen « Open Source » pour la 5/6G. À cette fin, les entreprises européennes doivent bénéficier d’une meilleure protection contre les sanctions extraterritoriales.

Au cœur du nouveau calendrier gouvernemental allemand : la numérisation et la lutte contre le réchauffement climatique. La pandémie a en effet mis en évidence les retards dans le numérique et la lenteur de l’administration. L’Allemagne veut investir pour y remédier. Concrètement, il s’agit d’installer la fibre optique sur tout le territoire, d’étendre la couverture du réseau téléphonique et de promouvoir les start-ups allemandes du numérique et de la haute technologie. Dans cette perspective, une hausse des dépenses en faveur de la recherche et du développement, à hauteur de 3,5 % du PIB, est aussi envisagée. De plus, le nouveau gouvernement s’est fixé pour objectif que, d’ici 2030, 80 % de l’électricité allemande soit issue de sources renouvelables. Un projet colossal, quand on sait qu’en 2020, la part d’électricité verte dans le mix énergétique allemand n’était que de 45 %. Et ce n’est un secret pour personne que l’Allemagne ne considère par le nucléaire comme une énergie renouvelable, contrairement à la France, qui plaide à l’échelle européenne pour qu’il soit reconnu comme tel.

 

Une coopération renforcée dans le domaine de la défense

En France, la défense nationale fait partie des politiques industrielles traditionnelles. Berlin aussi souhaite faire avancer les projets de défense à l’échelle européenne. L’accord de coalition prévoit des formations communes, ainsi que le développement des capacités, des équipements et des interventions. Ces projets doivent être portés par les Etats membres de l’UE en faveur de plus d’intégration, « comme c’est déjà prévu avec la France ». Le nouveau gouvernement fédéral s’engage pour des chaînes de commandement communes et veut créer un quartier général civilo-militaire. À Bruxelles, l’Allemagne a en ligne de mire la règle de l’unanimité au Conseil des ministres de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), et milite pour que la règle de la majorité qualifiée s’applique dès que possible. L’idée est de développer, avec les partenaires européens, un mécanisme pour impliquer aussi les plus petits Etats dans les prises de décision.

Mais est-ce que l’ambition de Berlin d’aller vers plus de fédéralisme au niveau européen trouvera un écho favorable à Paris ? Rien n’est moins sûr. Cela ressemble à vrai dire plutôt à un vœu pieu, tout comme le souhait de renforcer le droit d’initiative législative du Parlement européen, consacré dans le traité de Maastricht, mais qui reste aujourd’hui encore l’apanage de la Commission. C’est en tout cas une thématique qui séduit davantage l’Allemagne, de tradition parlementaire et fédérale, que la France, au régime semi-présidentiel et centralisé.

 

L’Allemagne est prête à investir davantage dès 2022

Le premier acte administratif du ministre des Finances, Christian Lindner, a consisté à augmenter le budget de 60 milliards d’euros. Les membres de la coalition ont décidé d’en faire bénéficier en premier lieu l’énergie et le climat, comme promis lors de la campagne électorale. Cela peut sembler surprenant, mais, avec ce nouveau ministre des Finances, la stratégie de l’Allemagne ne prend un virage libéral – elle mise sur davantage d’investissements publics !

Le gouvernement allemand pourrait même se montrer ouvert quant à l’intention de la France de revoir, pendant la présidence de l‘UE, les critères stricts de convergence sur la dette publique. Christian Lindner adopterait donc une ligne moins dure que ce que Paris redoutait avant les élections en Allemagnes. Lors de sa visite officielle à Paris, il a choisi de mettre l’accent sur le risque inflationniste. Pour lui, il s’agit avant tout de concilier la stabilité monétaire dans l’union monétaire avec les investissements nécessaires à la modernisation des économies européennes. Mais cela reste un exercice périlleux, et un objectif ambitieux sur le plan politique.

Du côté des Verts, c’est la lutte contre le réchauffement climatique qui reste la priorité. Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères, est partisane du multilatéralisme fondé sur des valeurs et veut ancrer la politique climatique allemande au niveau international. La présidence allemande du G7 en 2022 sera ainsi l’occasion de nouer des partenariats pour le climat à l’échelle mondiale et de créer un « club pour le climat » au niveau international. Avec comme objectifs : atteindre la neutralité climatique d’ici 2060 et continuer de développer les énergies renouvelables dans le monde et des infrastructures associées, et la production d’hydrogène vert. La coalition vise également à mettre en place un système d’échange de quotas d’émission, qui permettrait d’établir à moyen terme un prix harmonisé du CO2.

Paris doit de son côté veiller à ne pas sous-estimer le caractère inédit de cette coalition « feu tricolore » à Berlin. Les programmes des trois partenaires sont parfois contradictoires : justice sociale (SPD), changement climatique (Verts), libéralisme des marchés (FDP). Les désaccords les plus marqués sont apparus pendant les négociations de coalition entre les Verts et le FDP.

Le SPD, qui s’est montré uni pendant la campagne électorale, constitue le nouveau centre décisionnel politique en Allemagne. Le chancelier Olaf Scholz a déjà rassemblé autour de lui son cercle de confiance. Jörg Kukies, l’ancien coprésident du directoire de Goldman Sachs Deutschland, est désormais responsable de la politique économique, financière et européenne, et notamment en charge de l’organisation du G7/G20. Même dans une coalition politique à trois, la chancellerie est le centre de gravité du gouvernement. Reste à voir quelles avancées européennes permettra le programme de réformes franco-allemand d’ici Pâques !

 

 

Manuel Fuchs – 17 décembre 2021