La « deutsche Qualität » survivra-t-elle aux nouvelles technologies ?
« Allemagne – Contrée des ingénieurs ». Telle est la renommée du pays. Mais quand on se penche sur le développement des nouvelles technologies outre-Rhin, on peut se demander si cette réputation, base de la « deutsche Qualität », sera toujours vraie demain.
6,55 milliards d’euros !1 La manne glanée par le gouvernement allemand le 12 juin dernier avec la vente aux enchères pour les fréquences 5G a fait saliver les autres gouvernements. Mais le bonheur du budget allemand a fait surtout le malheur des industriels, qui voient la facture s’alourdir. « Les opérateurs n’ont plus les fonds nécessaires pour développer leurs réseaux. On aurait pu construire environ 50 000 nouveaux sites mobiles et mettre fin à de nombreuses zones blanches », s’est plaint Deutsche Telekom dans un communiqué. Pourtant, cette capacité à investir dans les réseaux du futur est cruciale pour le développement de l’industrie 4.0 où l’Allemagne veut faire perdurer son leadership industriel.
Et il y a urgence. En 2018, l’Allemagne se classait seulement au 25ème rang mondial en termes de vitesse de connexion Internet. Avec un débit moyen de 28,6 mégabits par seconde, le leader qu’est la Corée du Sud double presque la performance du réseau allemand. Et le pays du Matin calme devrait encore accentuer son avance, alors que son réseau 5G est déjà largement déployé dans plusieurs villes. Les industriels coréens se penchent déjà sur la 6G…. Deutsche Telekom a annoncé pouvoir couvrir environ 99% de la population allemande en 2025, mais seulement sur 90% du pays. Il n’y aura donc pas d’offre dans 10% de l’Allemagne, pour une technologie se voulant par définition « mobile » … En outre, l’industrie automobile – qui subit le bouleversement du véhicule électrique – ne pourra pas offrir de solutions pour la conduite autonome, s’il n’y a pas une couverture 5G à 100%. On peut également s’inquiéter pour le développement de l’IoT et de l’industrie 4.0, gourmands en données en temps réel et qui nécessitent des équipements de communication mobile plus rapides.2
Avec une industrie manufacturière qui représente 21 % de la valeur ajoutée brute du pays 3 , l’Allemagne a logiquement placé son futur dans l’industrie 4.0! Et le pays dispose d’indéniables atouts. À commencer par une R&D toujours puissante. Par exemple, dans le domaine phare de la conduite autonome, 14% des demandes mondiales de brevets déposées depuis 2011 proviennent d’Allemagne. Seuls les États-Unis en déposent davantage, avec 34%. La Chine n’atteint quant à elle que 3% 4. Mais elle fait face aussi à d’important défi, notamment en termes de ressources humaines. Si les universités allemandes ont fortement développé leur « production » d’ingénieurs avec environ 130 000 diplômés en 2017 contre 40 000 en 2005 5, la VDE – Fédération allemande des industries de l’électrotechnique, de l’électronique et des technologies de l’information – estime qu’il manquera 100 000 ingénieurs dans les dix prochaines années 6 . Des forces qui risque fort d’handicaper l’Allemagne dans la mère des batailles que sera celle de l’intelligence artificielle (IA). Et c’est encore plus inquiétant quand on regarde les investissements. Le gouvernement fédéral a ainsi annoncé vouloir créer 12 centres d’IA avec un financement public de trois milliards d’euros d’ici 2025. De son côté, la Chine a déclaré investir …150 milliards de dollars d’ici 2030 7 , sans mentionner les GAFA.
Et si l’avenir de l’industrie allemande, c’était l’Europe !
Manuel Fuchs – 2 juillet 2019